Thématique pluriannuelle : « Relecture des antagonismes de l’Espagne contemporaine : contacts, affrontements et confrontations »

La réflexion collective de l’équipe a conduit en effet à un certain nombre de notions et d’objets, synthétisés dans cet intitulé. Les questions d’orthodoxie, de doxa et d’oppositions, la référence à une série de couples antithétiques, à la fois évidents (progrès/réaction, raison/croyance) et constitutifs d’une certaine image de l’Espagne, ont imposé l’image d’une binarité qu’il nous a paru nécessaire de tenter de dépasser, voire de déconstruire. Cette notion d’antagonismes nous a paru plus particulièrement riche de lectures potentielles : confrontation, porosité, processus dialectique, relectures des échanges ou des contacts, l’un des aspects centraux de cette nouvelle thématique étant bien cette idée de « relecture », à ne pas confondre avec un quelconque relativisme ou révisionnisme.
Nous nous intéresserons aux phénomènes explicitement construits comme antagonismes, aux enjeux de ces constructions, leurs modalités, variations dans le temps et instrumentalisation(s), avec un intérêt tout particulier pour les processus de réaffirmation ou résurgence des antagonismes comme pour les tentatives — politiques ou esthétiques —, de dépassement de ceux-ci.
Déconstruire les antagonismes suppose en effet la recherche des éléments, mises en œuvre et actions qui, même en vain, s’éloignèrent de la binarité pour tenter un ailleurs. Ainsi le fameux « caïnisme » oblitère l’existence des groupes — minoritaires peut-être mais là encore dans bien des cas leurs importance et influence restent à étudier — qui ne se reconnaissaient ni d’Abel ni de Caïn et qui, de ce fait, n’eurent aucune visibilité. « Groupes sociaux subalternes » sans doute, pour reprendre les termes de Gramsci, dans bien des domaines dont la production fut rangée ou classée dans l’une des deux cases au mépris de la justesse d’analyse.
Continuer à analyser en termes binaires témoigne aussi d’une impossibilité de sortir de l’héritage de la modernité qui, si l’on en croit la définition de Hegel, est un monde dominé par les antagonismes incapables de déployer les possibilités historiques dans leur nouveauté et n’ayant pour issue inéluctable que la guerre. Or les théoriciens de la littérature tout comme certains historiens ont établi ces dernières années l’existence de zones d’interférences, de porosités et d’échanges invalidant ainsi les systèmes construits sur le versus : romantisme versus réalisme, littérature populaire versus grande littérature, raison versus sensibilité, centre versus périphérie etc.
C’est dans cette voie ambitieuse que nous nous engageons pour les cinq années à venir afin de faire émerger la multiplicité des constructions binaires ou antagoniques de l’Histoire, des histoires de la littérature et de l’art, mais aussi les groupes et phénomènes qui se trouvent du même coup écartés et frappés de nullité, invisibilité ou impuissance et bien sûr de considérer les enjeux de ces modalités de dualité entre pouvoir et contre pouvoir, chacun des pôles pouvant être occupé de façon interchangeable par les mêmes.